Les ivresses sacrées

Par Sophie de Mijolla-Mellor
Français

Les témoignages religieux font régulièrement état d’un vécu d’élation voire d’ivresse, sentiment d’exaltation et de plénitude indubitables pour qui les a vécus et interprétés comme des moments de contact avec la transcendance. Pour quelle raison ces sensations que l’on pourrait qualifier d’« ivresses sacrées », sont-elles régulièrement présentes, quelque soit la forme de la croyance envisagée ? Comment penser le rapport à la folie de celui qui se dit « fou de Dieu » ? Avons-nous définitivement quitté le sol du rationnel pour entrer dans le subjectivisme impartageable, si ce n’est par l’identification mimétique ? Quels sont les mots qui nous rattachent à ces expériences dont nous n’avons aucune raison de mettre en doute l’existence et les contenus, même si nous ne les avons jamais éprouvés nous-mêmes ? Cet article s’articule autour de l’hypothèse que l’une des plus importantes sources du besoin de croire n’est ni la culpabilité à l’égard du père, ni le désir d’être protégé par lui, mais le besoin d’établir une contre-force opposable à la mélancolie, née de la perte des illusions à la fois sur l’omnipotence narcissique infantile et sur les capacités parentales de réaliser un tel idéal. Contre-force et non mécanisme de défense, car c’est plutôt en termes de dérivation pulsionnelle sublimatoire qu’il faudrait la penser. Mais pas au sens d’une réalisation pulsionnelle amoindrie, affaiblie par rapport à ce que serait une réalisation directe car les ivresses sacrées, ou les ivresses sublimées, ont au contraire une intensité extrême. Cependant, au lieu d’apporter une satisfaction, elles mettent le sujet hors de lui-même au point de lui faire penser qu’il est possédé par une force étrangère, qu’il a néanmoins appelée et attendue. La question de savoir s’il s’agit effectivement d’une rencontre avec le divin ou d’un délire ne fait pas sens ici et, comme avec le discours d’un patient, il faut renoncer à chercher le sens ailleurs que dans le discours lui-même car, qu’il s’agisse des dieux des religions ou même de l’enthousiasme que suscite le Logos, aucune validation extérieure, autre que le vécu du sujet lui-même et sa capacité à l’élaborer, à en faire part, ne peut être trouvée.

Mots-clés

  • Mysticisme
  • Divin
  • « Hieromanie »
  • Extase
  • Croyance
  • Religion
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